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FRAISE ET CERISE

Blog de brèves nouvelles plutôt humoristiques fraîchement écrites par deux auteurs : Fraise et Cerise.

Transferts

Publié le 10 Avril 2009 par Fraise in nouvelles

La porte du cabinet s’ouvre brutalement. Richard Cipron entre, le visage rouge. La secrétaire tente un  « excusez-moi, docteur, mais monsieur Cipron… » que le docteur interrompt d’un bienveillant « Ce n’est pas grave, madame Berger. Je vous remercie. Il n’y a pas de problème.
-Oh que si, il y a des problèmes, doc-teur !
-Bonjour monsieur Cipron. Asseyez-vous, je vous en prie.
-Non, je ne m’assois pas. Je fais ce que je veux, vous comprenez ? Alors, on va parler clair, d’accord ? Vos super pilules, je les ai mangées, ok ? » Richard se dandine, pivote sur lui-même, marche de long en large parallèlement au bureau. Avec son index et son pouce gauche, il forme un rond. Ses trois autres doigts sont parfaitement raides. Le docteur a posé son petit arrosoir et jeté d’un geste rapide les fleurs fanées de son azalée blanche dans la poubelle près de la table d’auscultation. Il s’est assis et suit le rond qui éclate. Il voit un index pointé sur lui : « Ils sont très bien vos médocs. Je bâille. Je bâille toute la journée. Et ce n’est pas tout, monsieur le doc-teur. Je fais aussi de la pâte à modeler. Moi, Richard Cipron, je fais de la pâte à modeler. Et vous avez encore fait beaucoup plus fort, monsieur le doc-teur. Avec votre pâte à modeler, j’ai bouché l’aspirateur. Ma femme de ménage m’engueule. Et moi, Richard Cipron, pdg du groupe Altus, vous savez ce que j’ai fait ? J’ai proposé à la femme de ménage, qui est la seule présence humaine dans ma putain de baraque, de l’aider à réparer l’aspirateur. Et, là, grandiose, je n’ai jamais réussi à changer le sac. Jamais. J’en chialais presque. C’est elle qui l’a fait. Je l’ai même senti assez fière de bien me montrer qu’elle, elle savait. Alors, je trouve que ça fait un peu beaucoup, monsieur le doc-teur. Vous ne trouvez pas ? Que, à moi, il me traverse l’esprit de changer un sac à aspirateur parce que je me serai senti un peu coupable, ça me sidère !… C’est quoi, votre but ? Me guérir ou me satelliser ? » Richard a les deux mains posées sur le dossier de son fauteuil habituel. Il s’y appuie lourdement. Le docteur scrute son visage. Il suit les cernes et les joues creuses, la chemise mal boutonnée, les auréoles sur la cravate et le pantalon. C’est vrai que le coup de la pâte à modeler, ça peut être mal perçu, mais ça semblait vraiment lui faire plaisir ! En tout cas, elle colle bien, vu le bas du pantalon !… Il est venu, il y a à peine 5 jours. Il bâille encore… Bon, qu’est-ce que je fais ? Je sors Hulk ? Moi aussi, j’ai mes doutes parfois. Le petit docteur penche la tête et, droit dans les yeux, d’une voix douce et calme, dit : « C’est fini ? Ou il y a encore autre chose ? » Richard n’a pas soutenu le regard du docteur. Le silence est complet dans le cabinet. On n’entend que la sonnerie d’un téléphone. Richard s’est assis. Le docteur se lève et se dirige vers la fenêtre. A travers les lamelles du store, il regarde le lapin en poterie que madame Berger a tenu à mettre dans la pelouse du jardinet. Il entend la voix devenue plus faible et hésitante de Richard : « Moi je voudrais juste aller mieux, si vous voulez. Je voudrais juste être comme avant, que tout redevienne comme avant, quoi. » C’est de nouveau le silence dans le cabinet. Le docteur se retourne et va s’asseoir à son bureau. « Je sais, monsieur Cipron, je sais bien que c’est ce que vous voulez, mais je ne suis pas un magicien. Je sais très bien que vous souffrez. Et, croyez-moi, je n’y prends aucun plaisir. Je fais de mon mieux pour vous aider mais il faut un peu de patience. Les médicaments vont faire effet dans quelques jours. Il faut que vous acceptiez votre état actuel tout en sachant qu’il n’est que passager.
-Oui, mais, je ne peux pas vivre comme cela, docteur ! C’est pas possible de rentrer dans cette maison vide, de dormir tout seul, de… » Richard sanglote.
« Je comprends tout cela, monsieur Cipron, soupire le docteur. Ecoutez, j’ai une petite pièce à l’entrée de mon cabinet où il y a une télé, une banquette-lit et de quoi se faire un thé ou autre chose. J’avais aménagé tout ça pour mes éventuels remplaçants. Allez vous y reposer si vous voulez. Ou n’y allez pas. Vous faites comme vous voulez. Dans deux heures j’aurai fini mes consultations, on pourra aller dîner ensemble, si ça vous fait plaisir. Je ne peux pas vous dire mieux. Ou vous m’attendez ou vous ne m’attendez pas. Mais, allez-y, au moins pour vous reposer. Et si ça ne va pas, je suis là. Je travaille. » Richard regarde le docteur les yeux vides : « Vous êtes un type vachement chouette quand même. » Le docteur le raccompagne vers la porte : « Vous savez, monsieur Cipron,… ». Il ne finit pas sa phrase et indique à Richard la direction de la petite pièce. Il referme sa porte et entend Richard qui se racle la gorge. Il retourne à la fenêtre. Il faudra lui trouver un nom à ce lapin, il est sympathique.
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C
AAH ! chouette ... le printemps fait ressortir les fruits de saison ... Je vais remonter le fil de cette lecture vitaminée ...Bises à vous, chairs à tartes ...
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C
<br /> salut cajou, contente de voir que tu n'as pas perdu ton appétit!<br /> <br /> <br />