On leur avait apporté un nouveau prophète, le précédent ayant été bouffé par les rats.
C’était un petit prophète tibétain, le crâne rasé, le visage ridé, un long bras maigre émergeant d’un fouillis de pourpre.
Ils l’assirent en tailleur sur la plus haute marche, devant le temple en ruines.
« Maître, dis nous ce que tu sais. Transmets nous ton enseignement. Nous avons perdu notre guide. Nous errons dans la nuit. Aide nous, nous t’en prions. »
Après un très long silence, et comme certains commençaient à se demander s’il ne s’était pas tout simplement endormi, le moine laissa tomber un mot :
« Désastre. »
Tous se regardèrent, pétrifiés. Tous se dirent qu’au fond d’eux-mêmes, ils le savaient bien, que les choses allaient vraiment très mal. Voilà que le prophète confirmait leur intuition.
« Que faire ? s’enquit leur porte-parole. O maître vénéré, dis nous comment éviter ce désastre dont tu nous parles, nous t’en supplions. »
Encore un long silence. Les pauvres gens attendaient. L’anxiété leur vrillait les entrailles. Ils dévoraient des yeux le visage impassible du nain en toge rouge.
« Désastre », émit-il de nouveau.
Il n’y avait donc rien à faire, c’était fichu, c’était bien ce que chacun d’entre eux pensait depuis toujours, inutile de s’acharner plus longtemps à tenter de sauver la situation.
Mais le porte-parole insista :
« O maître. Tu nous vois tous agenouillés à tes pieds, prosternés, désespérés. Nous baisons tes chevilles, nous enserrons tes genoux de nos bras. Réconforte nous. Dis nous une parole qui nous aide à supporter l’inéluctable catastrophe. »
Vous avez deviné ce que finit par répondre le prophète, après une très longue méditation. Il ne prononça qu’un mot, d’une voix si faible que les disciples agenouillés le lurent sur ses lèvres plus qu’ils ne l’ouïrent.
D’ailleurs, c’était le mot qu’ils attendaient.