La dernière que j’ ai vue, c’était dans Massacre à la tronçonneuse, un classique des végétariens. Autant vous dire tout de suite que je ne me suis jamais vue achetant un tel objet.. Mais ma voisine demande qu’on coupe les branches qui dépassent dans son jardin et nos premiers essais avec une petite scie égoïne n’ont pas été concluants…
Le problème, c’est que je n’y connais rien, et puis ça vous scie une main sans même y penser, ces engins-là… Je vais demander conseil à un vendeur, ça m’aidera. Je l’imagine un peu paternel, rassurant, plein de bons conseils et balayant mes craintes d’un revers de main, car avec la tronçonneuse XYZ, pas de problème. Un truc comme ça.
C’est donc toute guillerette que je me rends au super-bricolo du coin.
Mon enthousiasme marque un léger recul devant les dix modèles alignés sur les présentoirs du rayon jardinage. Pour résumer : énormes et menaçants. Vite, le vendeur sauveur! On me le désigne, occupé à monter une tonnelle à l’autre bout de l’allée. C’est un homme de haute taille, large d’épaules, la quarantaine, cheveux en brosse, visage rectangulaire, sueur au front, regard froid. Je l’interromps poliment dans sa besogne et lui explique mon cas : je veux acheter une tronçonneuse, mais crains qu’elle ne soit trop lourde, trop coupante, trop tronçonneuse en somme. N’aurait-il pas un modèle spécialement conçu pour les femmes ? Il hausse le sourcil, jette un coup d’œil sur mon grand cabas en osier rose et, après s’être épongé le front de la manche, me fait signe de le suivre jusqu’ aux tueuses d’acier qui me voient revenir avec une satisfaction non feinte (ai-je dit que j’étais télépathe ?). Elles en ont toutes assez d’être couchées là et voudraient bien que je les achetasse. Je ne suis pas insensible à leur détresse, mais d’une part, je me vois mal faire l’emplette de dix tronçonneuses d’un coup, d’autre part, je capte en elles des désirs de défoulement tous azimuts qui me refroidissent, si je puis m’exprimer ainsi.
Le vendeur me désigne une mutilatrice rouge sang qu’il affirme être plus petite et moins lourde que les autres. Elle ne me plaît pas du tout. C’est une jeune écervelée, ça se sent, qui ne rêve qu’abattage et accidents. Je fais la moue. Je demande un modèle d’une autre couleur, rose, si possible. Le vendeur hausse les épaules, cette fois, et m’explique sèchement qu’ on n’est pas dans un magasin de prêt-à-porter, ici. Je rétorque que le choix du coloris existe bien pour les automobiles. Il me dit qu’il fera part de ma réclamation au fabricant, qu’en attendant, si je veux vraiment acheter une tronçonneuse, il me faudra me contenter d’un coloris par marque. Je finis par trouver un prétexte : cet engin fonctionne à l’aide d’un moteur : c’est salissant. Je réclame une tronçonneuse électrique, légère et maniable, et rose ou blanche, ou bleu ciel à la rigueur. Le vendeur m’explique qu’à son avis, je ne veux pas acheter de tronçonneuse, car tous les modèles électriques qu’il propose sont présents devant moi, et tous verts. Je le remercie de son aide, lui déclare que je vais réfléchir et sors dignement du super-bricolo pour me rendre dans l’hyper-jardino d’à côté où j’use de la méthode dite « éclair » : j’entre à toute allure, parcours les rayons au pas de chasseur jusqu’à ce que j’aie repéré les tronçonneuses et, avant d’avoir remarqué un détail susceptible de me freiner dans mon élan, m’empare d’un carton de modèle électrique (vert et lourd), le transporte vaillamment sans l’écouter jusqu’à la caisse, puis jusqu’au coffre de ma voiture, qui n’en croit pas ses yeux.
Ouf !