Le restaurant était chic : les murs, hauts, avaient des moulures et de grands miroirs ornaient le pan gauche de l’entrée. Nous étions dix autour d’une grande table rectangulaire recouverte d’une nappe blanche. La vaisselle et les verres étaient sobres. C’était, finalement, un restaurant un peu prétentieux dans son décor mais simple par son menu et son personnel. Des amitiés diverses unissaient les commensaux. Deux se connaissaient depuis très longtemps-nous. D’autres avaient lié amitié depuis quelques mois, avec des degrés d’attachement variables ; de la fascination pour l’un envers toi, à la simple camaraderie joyeuse pour les autres.
Tu me les avais tous présentés, tu m’avais introduite dans ce cercle et ce fut aimable de ta part. Je t’en avais remerciée à plusieurs reprises et j’avais parfois refusé des invitations pour te laisser ton espace.
Je n’y avais ni ton aisance, ni ton aura, mais cela ne me gênait pas. Je te connaissais suffisamment bien pour savoir que tu souhaitais tenir les rênes du groupe. Ta parole est drôle, intelligente, percutante et souvent cynique. Un mélange détonant qui nous attire.
Tu n’étais pas tout à fait en face de moi-juste décalée sur ma droite. Tu as proposé que l’on porte un toast. Chacun a levé sa coupe de champagne. Tu as vu-parce que nos regards se sont croisés à ce moment précis-la joie dans mon regard. Une joie somme toute stupide mais réelle et humaine. J’éprouvais cette petite satisfaction narcissique idiote à l’idée que l’on allait trinquer, tous ensemble, à mon anniversaire, que j’avais eu quelques jours auparavant et que tu m’avais souhaité, hilare, au téléphone avec ces mots : « Tu te rends compte ? J’ai pas oublié. C’est dingue, hein ? Je m’en suis souvenu. La première fois. C’est génial, l’agenda électronique ! ».
Et tu as dit : « Je voudrais, donc, que nous portions un toast car aujourd’hui François aurait eu 53 ans. » J’ai trouvé que c’était bien que tu le dises. Je ne connaissais pas sa date d’anniversaire. Je me souvenais juste du jour où tu m’avais appelée en pleurs pour me dire qu’il s’était taillé les veines. Et, là, tu as rajouté, parce que tu ne pouvais plus reculer à cause de notre regard, sans doute : « Et, par la même occasion, nous fêtons aussi les 53 ans de la Pauline, qui les porte très bien ! » Tout le monde a ri.
Dans ma tête ont tourné tes paroles à l’entrée du restaurant, en regardant mes pieds : « Je te signale que, pour des chaussures confortables, tu as tout de même un pansement… » Et, de rajouter : « La Pauline, elle nous file vraiment un mauvais coton : elle s’achète des chaussures à 40 euros maintenant ! Elle nous fera bientôt les courses au Lidl ! »
J’ai mis un sourire moi aussi sur mes lèvres.
Aurait-il été trop difficile de simplement dire que l’on pouvait aussi porter un toast à mon anniversaire, à mes 42 ans ? Peut-être. Il t’a paru plus drôle, plus valorisant aussi, pour toi, éventuellement, de lancer une boutade. Une moquerie de plus à mon encontre, ai-je pensé.
Une moquerie de trop.