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FRAISE ET CERISE

Blog de brèves nouvelles plutôt humoristiques fraîchement écrites par deux auteurs : Fraise et Cerise.

A côté

Publié le 16 Juillet 2012 par Fraise in nouvelles

A côté

Elle s’étire dans les draps blancs. Une lumière grise passe par les interstices des volets. C’est peut-être l’automne en été. Elle passe dans la salle de bains et se douche, assise dans la baignoire, les yeux perdus dans un flacon d’opaline blanche sur le marbre veiné de la coiffeuse. Elle essuie son corps fluet et passe un pull et un pantalon de coton dont elle a retourné l’ourlet à l’extérieur. Elle farde légèrement son visage rincé à l’eau claire. Dans le long couloir, la maison lui semble un peu sombre et froide mais l’odeur du café la réconforte aussitôt. Elle voudrait pouvoir vivre plusieurs fois ce moment dans une même journée : descendre l’escalier dans la légèreté unique de son corps du matin, passer ses pieds nus sur les tapis, entendre les cliquetis de Luce dans la cuisine, respirer l’odeur du café qui se diffuse, imaginer le lait qui s’y mélangera bientôt dans la tasse. Il faudrait les écrire, ma petite Françoise, ces instants infimes, blancs, en quelque sorte, où l’on s’approche de la vie avec la conscience heureuse qu’elle est là, qu’elle nous attend, d’une certaine façon. Elle passe sa tête dans l’entrebâillement de la porte de la cuisine :

« Bonjour Luce ! » « Oh, bonjour Madame ! Je vous apporte la cafetière. » « Merci ! » Françoise s’assoit à la table ronde de la salle à manger, une jambe repliée sous ses fesses. Luce arrive avec un plateau chargé : « Il ne fait pas beau aujourd’hui. Il fait même froid. » « Et c’est très bien ainsi ! Je vais faire un bon feu dans la cheminée. » Luce sourit, encore surprise des réactions de sa patronne, après plusieurs mois à son service. « Voulez-vous manger quelque chose de particulier à midi ou ce soir ? » « Absolument pas. Faites avec ce qu’il y a. Si vous n’avez pas envie de sortir avec ce temps, ne vous forcez surtout pas. » Françoise boit une grande tasse de café et picore un petit croissant au chocolat. « Vous savez, Luce ? J’aimerais bien savoir faire des croissants. Vous croyez que c’est difficile ? » « Oh, je ne pense pas. Mais Madame sait faire beaucoup d’autres choses qui sont bien plus utiles. » « Oh, je n’en suis pas si sûre, Luce ! Pas si sûre du tout. » Sa voix est mi-sérieuse, mi-songeuse.

Luce disparaît et Françoise boit son café debout près de la porte-fenêtre. Elle regarde le jardin, le vent qui fait plier les branches, la pluie qui strie l’air. Le chat s’est frotté contre ses chevilles et s’installe sur le vieux canapé en velours. Françoise le suit : « Oui, Monsieur le chat, je vais faire le feu qui crépite et qui réchauffe. » Elle s’exécute sans difficultés et s’assoit sur le canapé. Elle replie ses jambes sur le gros coussin et se perd dans les flammes. « Novembre en juillet ; c’est délicieux, non ? » Elle se lève et cherche dans les piles de livres au sol et aux murs. Sagan, Proust, Céline, Simenon, Racine, Zweig… Elle en choisit plusieurs et rapproche du canapé, une petite table ronde et une lampe haute. Il manque encore des stylos et du café. Elle part en chercher chez Luce et saisit au passage un paquet de cigarettes qui traîne sur une console et un châle laissé sur un fauteuil. Elle lit sur le canapé. Sérieuse. Elle lit. Des rires viennent du couloir. C’est Jacques et Marie et Annabelle qui parlent et s’amusent. Marie demande tout doucement derrière la porte entrouverte : « On peut entrer ? » « Mais bien sûr ! » Françoise se lève. On s’embrasse. « Mais quelle heure est-il ? « Un peu plus de treize heures, ma belle ! » dit Jacques. « Ah, alors, c’est l’heure de l’apéritif ! Servez-vous ! » « Et toi, tu veux quoi, ma douce ? » « Un porto avec un glaçon, s’il te plaît. » Jacques dit en inclinant la tête dans une pose de majordome : « A vos ordres, Madame ! Faut-il encore que Luce me laisse entrer dans sa tanière et m’accorde le précieux cube de glace ! » Françoise sourit. Jacques est un être merveilleux de douceur et de drôlerie. Un mélancolique élégant. Il revient avec un plateau : « Luce m’a donné des glaçons et des choses à grignoter et nous prépare un repas dans l’autre salle à manger. Ce sont ses propres paroles. Je transmets ! » « Très bien. » Françoise écoute les récits de leur folle nuit parisienne. Ils rient et elle avec. Elle les regarde et les entend revivre leur vie d’hier. Ils vont manger dans une autre pièce à côté. Oui j’arrive mais après. Ne m’attendez pas. Personne n’insistera. Elle reprend ses livres. Elle boit un peu de porto et regarde les flammes. Elle écrit quelques mots, dans les bruits de la vie, un peu plus loin. 

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