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FRAISE ET CERISE

Blog de brèves nouvelles plutôt humoristiques fraîchement écrites par deux auteurs : Fraise et Cerise.

Ecarts

Publié le 4 Novembre 2006 par Fraise in nouvelles

 
 
 

Il l’attend en bas de chez elle.

Enorme voiture noire, vitres fumées, marchepied intégrée pour se hisser.

Elle monte, les mains froides, la bouche sèche et le cœur trop rapide. Pas envie.

« Bonsoir. Toujours cette énorme voiture ? dit-elle d’un ton enjoué.

-Bonsoir ! Je suis ravi de vous revoir mademoiselle. Depuis le temps !

-Oui, moi aussi ! C’est vrai, ça fait longtemps ! On va où ?

-Où tu veux.

-Je ne sais pas, je n’ai pas d’idée. On quitte la ville ? Je préférerai.

-Oui, d’accord. »

Ça va vite, trop vite. Malaise palpable.

Elle regarde la chaîne stéréo intégrée dans le tableau de bord devant elle :

« Je reconnais la musique.

-Oui. Je ne change pas souvent le CD. »

Silence. Elle cherche des sujets, n’importe quoi à dire. Mais, n’importe quoi, ça ne vient pas. 

« Ça va ?

-Oui, oui, bien. Un peu fatiguée : le travail, les fêtes, les déplacements… Tu vois ? »

Mais je dis n’importe quoi ! Je ne suis pas du tout fatiguée : je suis comme une pile électrique. Je n’ai rien fait de particulier pour les fêtes et j’ai considérablement réduit mon  secteur, donc mes kilomètres. Je raconte n’importe quoi… 

« Et toi, ça va ? Les affaires marchent bien ?

-Oui, ça va. Mais, le business…

-Ah ! J’oubliais que les commerçants se plaignent toujours ! Les affaires ne marchent jamais mais vous n’avez pas l’air si malheureux : bronzage ski, 4x4, champagne…

-Toujours aussi rebelle, jeune-fille ! »

Je ne supporte pas sa façon de me parler. Je ne suis pas qu’une adolescente attardée révoltée contre ces cons de commerçants riches et incultes.

« Ça ne te dérange pas si on va juste boire un verre ? Je n’ai pas vraiment faim. On va boire des bulles ; c’est moi qui offre ! »

Blanc.

Il sourit vaguement.

« Comme vous voulez. »

Le cliquetis de la boîte à vitesse automatique marque le silence. La nuit est noire. Il fait froid. Elle met ses mains dans ses poches et pose son bras sur l’accoudoir en cuir. Ça serait tellement… facile… tout ce luxe.

« Le Barlight ? Ça te convient ?

-Oui, oui, très bien. »

Elle est en face de lui. La lumière est tamisée.

«Pourquoi tu as accepté de me revoir ?

-Disons…pour plusieurs raisons.

 

-Pas parce que je t’ai manqué ?

-Je vous ai manquée à vous ?

-Oui. Je vous l’ai même écrit, mademoiselle.

 

-Oui, c’est vrai… Je me souviens du texto. »

Des olives. Une gorgée de champagne.

« On peut connaître ces « raisons » ?

-En fait…je pense que je suis…disons, gênée vis à vis de toi pour ce qui s’est passé la première fois entre nous et la suite : mon silence, les reports de rendez-vous. Je n’ai pas été très honnête, je crois. Je ne vous ai pas donné toutes les clés pour comprendre. Ma vie est un peu…compliquée.

-Ça, j’ai cru le comprendre.

-Pour être plus claire : je ne suis pas seule. Il y a quelqu’un dans ma vie. »

Son visage étroit s’est fermé. Elle, elle boit. Lentement.

« C’est pour cela que je n’ai pas beaucoup de temps, de disponibilités et que c’est compliqué donc... Tu… Tu ne t’en doutais pas ?

-Non. »

La réponse claque.

« J’avais cru à un chagrin d’amour qui te retenait de continuer. Une sorte de protection.

-Oui, il y a eu tout ça. Mais c’est derrière. Pas loin. Mais derrière. Maintenant il y a quelqu’un dont parfois je… « m’écarte ». C’est quelqu’un que je quitte et que je retrouve. Et quand je le quitte, il y a parfois d’autres hommes. »

Le visage est dur mais ses petits yeux brillent. Désir ? Mépris ? Elle ne sait pas.

« C’est surprenant. Je suis surpris.

-Pourquoi ?… Parce que je suis une femme ?

-Je ne sais pas. Je ne m’étais pas imaginé cela de toi.

-Oh ! Notre premier rendez-vous était pourtant…Disons que je n’ai pas été très…farouche ! »

Son regard brûle. Les hommes et le sexe : trop prévisibles ! Il y a de l’énergie à ce moment précis.

« C’était bien, justement. »

Elle le regarde et renverse un peu sa tête pour boire quelques bulles, l’œil rieur…

« Oui…oui…enfin… pas tout… C’est sans doute aussi pour ça que je n’ai pas donné suite.

-C’est-à-dire ? »

 

Il rit. Nerveusement.

Elle reprend une olive.

« Eh bien…comment te dire ? Il y a des phrases que tu m’as dites qui m’ont vraiment heurtée. Il y en a deux qui dansent encore dans ma tête. Tu veux… ?

-Oui, vas-y !

 

-Il y a eu le « Tu pleureras pour qu’on t’épouse quand tu seras vieille » et le « c’est moi qui décide ! » Celle-là, elle est ineffaçable. »

Il ricane. Sa jambe gauche tressaute fortement.

Elle, elle fait des ronds avec ses escarpins pointus.

« Tu es vraiment quelqu’un d’étrange.

-Pourquoi ? Tu peux me dire des choses désagréables, vas-y. Je peux les entendre. Je peux même rentrer en taxi ; ce n’est pas un problème. »

Elle reprend une olive.

Son pied à lui cogne contre la table.

« Non, non…Je suis désolé pour ces deux phrases. »

Elle se redresse, pose ses deux mains à plat sur la table et les fixe en parlant :

« Non, il n’y a pas à être désolé. Elles ont été dites. Elles sont connes et elles sont là ; voilà…Elles m’ont permis de comprendre que toi et moi, c’était…c’était juste, comme ça, pour une fois.

-Pour deux phrases ?

-Oui, évidemment ! Un mot peut suffir même parfois.

-Mais, comment il  fait…l’autre ?

-On se parle peu.

-Un peu facile, non ?

 

-Peut-être…Quand on s’est rencontrés, il m’a juste pris la main et…

-Qu’est-ce qu’il a, lui ?

-Tout. Chez lui, tout est énorme. Il y a du chaud, de l’enthousiasme, de la générosité. De la folie, aussi…surtout. J’aime, ça. J’en ai besoin.

-Et pour le désir ?

-Il y a lui…et les autres…parfois…

-Dont moi.

-Voilà. »

Elle sourit en regardant les bulles monter. Ses yeux ne la regardent plus. Ils fixent un point imaginaire au-delà de la vitre. Elle boit encore un peu de champagne. Sa jambe à lui continue de heurter la table.

Payer, remonter dans la voiture, se quitter.

Le même CD dans la même voiture. Elle ne cherche rien à lui dire. Ce n’est plus la peine. Il conduit. La boîte automatique les accompagne dans leur silence. Il se gare. Elle referme le col de sa veste. Elle ouvre sa portière. Déjà une jambe sur le marchepied, elle s’esquive :

« Vous m’en voulez ?

-Je ne sais pas

 

-…Je suis désolée…»

Elle ferme la portière.

Peut-être ses yeux bleus la suivent-ils à travers les vitres fumées ? Elle ouvre la porte de la résidence, monte les étages, ouvre sa porte et respire avec délice le parfum et la chaleur de son abri aux murs débordant de livres à elle et de toiles de lui. Ici, il fait chaud, mon amour.

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J
Ecarts ... il s\\\'agit d\\\'une histoire vraisemblable ...on en fait tous des écarts, et surtout, quand on n\\\'est pas à sa place qque part.<br /> "il reprend la route, il roule dans la nuit, le regard droit devant. il pense à ce qu\\\'elle lui a dit et il comprend : "c\\\'est moi qui décide" ... oui, il comprend que ce n\\\'est pas lui qui décide. Remise en question, la route défile sous les phares. Sa conversation raisonne dans sa tête. Il s\\\'arrete au bord de la route, il marche seul sur le sable au bord de la mer noire. les mains dans les poches. il sait qu\\\'il doit tout remettre en question dans sa vie. Il s\\\'arrete face à la mer, les vagues à ses pieds. il regarde au loin. ... il comprend alors que la route s\\\'arretait là, à ses pieds, et que par là, il n\\\'avancerait plus du tout ..."
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C
coucou, jp! intéressante continuation du texte que celle-ci!bisous
K
houuu que c'est bien raconté tout ça ...
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K
C'est aussi froid que les sièges de cuir de la berline : ce récit dérange parce qu' on peut y retrouver nos côtés troubles et inavoués.Fraise, j'aime beaucoup ce que tu écris.Cerise, j'aime beaucoup ce que tu écris aussi, mais en ce moment, comment dire, tu me plonges en pleine confusion ! Enfin je suis heureuse de savoir que la Boulangère t'attends dans ta salle demain matin !
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C
j'espère que Fraise pourra bientôt répondre à tous ces commentaires.<br /> Khassiopée, j'ai réussi à te plonger dans la confusion et tu n'arrives plus à suivre?<br />  eh, eh, eh!
L
C'est ce qu'on appelle une rupture "moderne" ... Rien de changé :)
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D
l'indécision dans toute sa splendeur, le refus d'avancer, joli
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