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FRAISE ET CERISE

Blog de brèves nouvelles plutôt humoristiques fraîchement écrites par deux auteurs : Fraise et Cerise.

Thomas

Publié le 4 Septembre 2010 par Fraise in nouvelles

picasso - enfant a la fleur - 1947« Alors, on part à quelle heure, finalement ? »

Anna pose la question à Antoine, un beau quarantenaire aux cheveux poivre et sel et yeux verts, grisés. De sa voix grave, il répond : « Ton train est à 22h3O, c’est ça ? » Anna acquiesce d’un geste. « Donc, on va partir vers 15 heures comme ça on aura largement le temps d’aller jusque chez moi, de manger tous ensemble et de t’emmener à la gare. » Même s’il n’est pas d’un naturel expansif, Antoine a souvent le souci de l’autre dans le peu qu’il dit. Anna regarde sa montre. Il est presque 14 heures. « Bon, ok, c’est parfait. Je vais préparer mes affaires, alors. » Elle se dirige vers l’escalier et se retourne vers Antoine pour ajouter « Merci. »

Dans la maison de campagne, l’escalier est tout récent, encore en ciment brut. Anna va dans la chambre dans laquelle elle a dormi quelques jours. Sa valise, d’un format réduit, est posée par terre à même le plancher. Elle a peu éparpillé ses affaires. Elle vérifie néanmoins derrière le lit d’appoint plaqué contre le mur, sous son lit, sous les couvertures et dans le placard. Elle se retourne pour glisser un gilet dans la valise. Thomas est assis juste à côté, sur le sol. Elle ne l’a pas entendu entrer. Seule parvient la voix d’une tante de Thomas qui lit une histoire à d’autres enfants dans la chambre d’à côté. Anna le regarde en souriant. Elle s’accroupit près de la valise et du petit. Elle ferme le bagage sans faire de bruit juste en rabattant la partie mobile, sans faire jouer encore la fermeture éclair pour préserver le silence peut-être et ne rien installer d’agressif et de définitif dans cet espace. Les yeux de Thomas sont proprement fascinants. Tout son visage est, pour être juste, frappant. Dans son regard, Anna lit une puissance, presque violente, et une intelligence quasi déplacées sur le visage d’un enfant de trois ans. Thomas n’a toujours rien dit. Anna décide de lui parler en choisissant une voix d’adulte, bien sûr, mais plutôt basse et douce. « Alors tu vois, je fais ma valise parce que je vais partir. Je vais rentrer chez moi. » Thomas l’écoute et pose sa tête de blondinet sur la valise. Anna a l’intuition qu’il faut continuer à lui parler, qu’elle doit lui expliquer davantage son départ, lui faire comprendre qu’elle est triste elle aussi mais que c’est ainsi. « Je suis arrivée avec Nathalie il y a quelques jours, tu te souviens ? Après, Antoine et Christophe sont arrivés aussi. Avant hier. Et, tout à l’heure, nous repartons tous les quatre, et, moi, ce soir, je prends le train de nuit et je rentre dans mon chez moi. » Thomas continue à écouter très attentivement, toujours les yeux fixés dans ceux d’Anna, et reste couché sur la valise. Avec sa tête, il dit non. Anna garde sa surprise en elle. Elle réfléchit rapidement aux quelques jours passés là. Elle n’a pas souvenir d’une marque d’attachement particulière pour elle manifestée par Thomas. Que n’a-t-elle pas vu ? Elle se rappelle bien la voix forte du père, d’une patience limitée, rapide à crier et lever la main sur lui ou ses frères. Il s’agit d’en faire des hommes ! Elle revoit aussi l’indifférence assez globale de la mère, une femme plutôt masculine préoccupée par ses confitures de mûres. Qu’a vu Thomas ? L’a-t-il remarquée, elle, Anna berçant le bébé de la tante ; comme la tante, d’ailleurs ? L’a-t-elle embrassé, lui, un matin, au petit-déjeuner, d’une façon telle qu’il ne veut plus qu’elle s’éloigne ? Etait-ce un autre geste ou un regard ou un parfum ? Anna continue : « Il faut que je parte parce que je n’habite pas ici. J’ai une maison, toute petite, qui est loin. Et maintenant, il faut que j’y retourne. » L’enfant commence à lever sa tête et redresser son buste. Elle ose à peine lui caresser les cheveux de peur qu’il ne disparaisse. « Si tu veux, je te prends avec moi. Regarde ma valise, tu pourrais pile entrer dedans et, en plus elle a des roulettes. Je te mets dans ma petite valise et on rentre dans ma petite maison. Tous les deux. Tu veux ? » Thomas sourit. « Mais avant, il faut aller demander à ton papa et à ta maman. Parce que c’est pas possible sans leur demander. Et je pense qu’ils ne seraient pas tout à fait d’accord. Toi non plus sans doute, hein ? Et, très bientôt, tu vas retourner à l’école en plus. Tu vas revoir tes amis.» Maintenant, Thomas est bien assis par terre près de la valise, contre le mur.

 

La tante depuis la chambre voisine dit : « Thomas, laisse Anna faire sa valise tranquille. » Anna se relève et pivote vers la porte pour répondre : « Non, non, il n’y a pas de souci Françoise. » Elle se retourne vers la valise : Thomas est parti comme un petit nuage.

Dernières vérifications du regard et Anna fait jouer la fermeture éclair et quitte la chambre avec la valise. Dans la salle commune, en bas, il reste peu de monde. Certains sont au bord de la rivière, d’autres sont partis cueillir des mûres, encore. Il sera impossible de dire au revoir à tous. On embrasse ceux qui sont là. On insiste pour qu’on veille à bien embrasser et remercier ceux qui sont ailleurs. On se souhaite une bonne continuation. On se dit à l’année prochaine, bien sûr. Anna cherche des yeux Thomas jusqu’au moment de monter dans la voiture. Il a dû partir à la rivière ou aux mûres.

Dans le véhicule, les quatre discutent. Thomas entre dans la conversation. Antoine dit que cet enfant le fascine. Nathalie confirme que ce petit est le plus captivant de tous, et pourtant les autres sont déjà tellement extra. Il a vraiment quelque chose ! Christophe confirme. Anna approuve de plusieurs signes de têtes, sans rien dire.

 

Quelques semaines plus tard, Nathalie passe le week-end chez les parents de Thomas et ses frères. De retour, elle téléphone à Anna :

« Anna, il faut que je te raconte quelque chose. 

-Dis-moi, je t’écoute.

-Tu as un nouvel amoureux-très jeune cette fois ! Nathalie rit.

-Ah ? Vas-y, je ne comprends pas bien, là.

-Thomas, trois ans ! Eh oui ! Alors, je t’explique : quand je suis arrivée chez Edouard et Laure, je suis entrée par l’allée centrale, tu vois, qui est très longue parce que leur nouvelle maison, en fait, ce n’est pas une maison, c’est un vrai château. C’est splendide. Et donc là, j’arrive à pieds et je vois les deux grands qui jouent dans le parc. Donc, je vais vers eux, j’les embrasse, on discute un peu et là, arrive… the Terreur, le p’tit Thomas, qui me regarde et qui me crie dessus, mais, super en colère, tu vois : « Mais pourquoi, t’as pas amené l’autre, l’autre Nathalie ? » Alors, moi, je comprenais rien, je lui ai dit : « Mais quelle autre Nathalie ? » « Mais l’autre, l’autre tu sais bien, celle qui était avec toi, chez Mamie ! » Il était dans une colère, je te raconte pas ! Alors j’ai compris et je lui ai dit…

Nathalie continue de raconter et Anna revoit cet enfant magnifique, puissant et fragile, la tête sur sa valise. Elle se sent plutôt triste.

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E
<br /> <br /> Bonjour Fraise<br /> <br /> <br /> J'ai aimé cette histoire ecrite avec beaucoup de sensibilité au point que tu as rendu tes personnages presque vivants...en les lisant.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Bisesss<br /> <br /> <br /> Marie-Ange<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Merci Marie-Ange. C'est un beau compliment.<br /> <br /> <br /> <br />